COMPAGNONS D’ATELIER

Entreprendre un processus créatif, concevoir une série d’œuvres, préparer une exposition, c’est se donner les moyens de pouvoir se retirer autant dans son imaginaire que dans son atelier afin de composer les thèmes d’une nouvelle partition. C’est une forme de pèlerinage, c’est un peu comme partir en voyage.

Tout d’abord il n’est pas superflu de dessiner quelques cartes, sous forme de croquis, de manière à définir quel sera l’itinéraire de ce périple, pour éviter de trop se perdre en cours de route tout en sachant pertinemment que le hors piste fera partie de l’équipée et qu’il sera parfois même nécessaire de perdre de vue les balises établies afin d’accomplir ses desseins.
Viens ensuite le passage à l’acte, aux actes plus précisément, multiples, effectués en bloc, en parallèle ou par phases, à corps perdu ou de manière plus pragmatique, mais toujours avec cette étincelle qui crépite au fond de soi, qui anime et qui guide l’action le geste la cadence et les pas de cette croisière au pays de la matière et de la forme.
Se lancer à la découverte de tous ces possibles, explorer les aléas et les méandres de nos ressources créatives, c’est traverser des terrains vagues et des no man’s land, franchir des frontières, remonter des cascades, s’enfoncer dans la brousse, défricher des parcelles, plonger en apnée, s’envoler dans les airs, gravir des sommets ou chuter dans l’abîme. En plus du casque et de la boussole, un équipement ad hoc est généralement nécessaire pour s’engager dans un tel voyage, et ce, même pour aborder les contrées conceptuelles, bien qu’alors celui-ci se réduise le plus souvent aux strict minimum, a savoir, au verbe et au signe. Que l’on soit dans le domaine du figuratif ou du constructivisme, du minimalisme ou de l’abstrait, l’outil, ce prolongement de la main qui elle-même est celui de la pensée, et son corolaire le support, sont les compagnons et l’équipage de ce périple artistique et se conjuguent sous toutes les formes.
De la paroi à l’écorce, de la toile au papier, de la cire à l’argile, du plâtre au ciment, du tronc à la poutre, du verre à la pierre, du métal au plastique, du naturel au synthétique, du crayon au pinceau, de la brosse au couteau, de la gomme à la colle, du pigment au charbon, de l’encre à la mine, de la bouteille au bol, de la boîte au bidon, de la patine au glacis, de l’adjuvant au diluant, de l’huile à la résine, du cadre au châssis, du modelage au moulage, de l’assemblage à la taille, de la découpe au collage, du négatif au positif, de la matrice à l’épreuve, de la cisaille aux ciseaux, du burin au marteau, de la forge à l’enclume, de la plaque à la presse, de la brique au four, du grattoir à la pelle, de la glace à la fusion, du solide au liquide, de la scie à la pince, de la pointe au serre joint, de la lime à la clé, de l’abrasif à la brosse métallique, de la règle au compas, du mètre à l’équerre, de la pointe à tracer au pied à coulisse, du testeur à l’interrupteur, du mélangeur au nettoyeur, de la douille à l’embout, de la meuleuse à la tronçonneuse, de la ponceuse au plateau, du chargeur à l’adaptateur, de la fraise à la lame, de la sauteuse à la circulaire, de l’escabeau au chariot, du détendeur au chalumeau, du poste à souder au plan de travail, de la rallonge à la prise, de l’électrode à la masse, du compresseur à l’aspirateur, du tabouret au tiroir, de la visière au masque de protection, des lunettes aux gants, du niveau à l’étau, de l’établit au bureau, de la tournette à l’écrou, de la truelle à la pelle, de la ficelle au câble, de la corde au ruban adhésif, de la vis au boulon, de la goupille à la rondelle, du tire fond au palan, du piton au crochet, du serre câble au maillon, de la sangle à l’anneau, du ciseau au pointeau, du tournevis à la brosse à dent, du tube au récipient, du socle à la brouette, du diable à la molette, de la hache au bidon, de l’essence au cordon, de la perceuse à la mèche, du journal au chiffon, de l’huile de coude au carburant, de la spatule au rabot, de la vrille au taraud, du cutter à l’aiguille, de la limaille au copeau, du balais à la poubelle, de la cale au tamis, du clavier à la souris, du disque à l’image, du scanner à l’imprimante, du réseau à l’ordinateur, du trépied à l’appareil photo, de la carte mémoire au disque dur, de la signature au sceau, de l’enveloppe au tampon, du contenant au contenu, de l’ustensile à l’instrument, de la conception à la réalisation, de l’empreinte à la trace, de la marque au message, de la passion à l’amour.

Ce cortège d’accessoires et de matériaux, essentiels ou secondaires suivant leurs fonctions, accompagne de l’ébauche au résultat le cheminement artistique. Jamais nommés, souvent égarés, parfois récalcitrants mais pourtant toujours présents, je salue ici cette escorte à la création qui coopère dans l’ombre et accompagne toutes les richesses d’expression.

Pierre Jaggi - février 2006

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