Le réel du sens
Ce qui caractérise d’abord Pierre Jaggi, c’est sa curiosité. Insatiable curiosité qui, lors de ses pérégrinations, l’incite à découvrir des mondes multiples et divers au rythme de ses voyages réels où imaginaires ; voyageur moderne et archaïque à la fois découvrant des cultures ancestrales, voyageur méditatif à la recherche de nouveaux matériaux, complices insolites lui permettant de se réinventer au gré de son imaginaire.
Alors, au sein de son atelier, armés de ses outils, prolongation de sa pensée, « il rend visible l’invisible » (M.M. Ponty) … sa conscience se donne à voir.
Galets de rivière ou galets de terre, bois nouveaux ou séculaires, fers rouillés ou empreintes rouillées … deviennent compagnons, ébauches de ses réalisations.
Sertis dans leur écrin de bois enveloppant et protecteur, posés sur des colonnes imposantes ou presque transparentes,
juchés sur de grandes pattes de fer, amassés amoncelés, groupés, empilés voir entassés, ses galets réels ou fictifs, solistes de cet orchestre fait de matérialité, se répandent et se répondent tel un leitmotiv.
Ses œuvres nous parlent, du fond de leurs rivières, des siècles passés et présents, du temps qui s’écoule imperturbable. Elles nous parlent de cette nouvelle vie, de ce nouveau sens surgit de la pensée de Pierre Jaggi. A nous d’entendre ces matériaux bruts devenus sens … A nous alors de leur donner à notre tour sens, de leur donner une troisième vie, celle de l’existence de l’œuvre dans le temps.
L’œuvre accomplie est (…) celle qui atteint son spectateur, l’invite à reprendre le geste qui l’a créé. C’est dans les autres que l’expression prend son relief et devient signification.
Ce que (les autres) attendent de l’artiste (…) c’est qu’il les entraine vers des valeurs, où ils ne reconnaîtront qu’ensuite leurs valeurs.
Le regard de l’autre doit d’abord pénétrer dans la chose ou l’œuvre finie, pour pouvoir saisir ce que l’œuvre, et avec elle (l’artiste) qui l’a faite, veulent dire. Mais saisir ce que l’œuvre veut dire implique forcément une résonnance de la chose vue avec le regard qui se pose sur elle. Cette résonnance doit amener vers une interprétation de la chose vue, par la pensée de celui qui la découvre. Tiré de « l’œil et l’esprit » de Maurice Merleau Ponty
Vérène Quadranti mai 2006