LINARD et JAGGI en discussion …
Pierre Jaggi est un artiste plasticien, sculpteur et installateur avant d’être céramiste. Il assemble des objets et des matériaux variés. Il utilise très souvent des galets qu¹ils rapporte de ses voyages. Les galets sont transformés en galets-lettres envoyés par la poste, galets peints ou patinés, galets-mobiles à la manière de Calder, galets empilés dans des structures métalliques ou incrustés dans le bois ou le fer. Son exposition présente une installation au sol de galets en céramique. La lecture de la nature de référence des sculptures est évidente et pourtant il arrive que Pierre insère dans ses séries de véritables galets. Le plaisir de la comparaison en est sans doute accentué. C’est le propre de l’œuvre « imitant » un objet de la nature que d’inciter au jugement. « Si le plaisir est dans le jugement même que l’on porte entre l’objet à imiter et l’objet imitant; si l’âme jouit d’autant plus, (…) qu’il y a plus à comparer et plus à juger, on comprend que, dans l’imitation par répétition identique, elle ne peut jouir de rien, puisque rien ne l’avertit qu¹il y ait quelque chose à comparer, qu’il y ait à juger quelque chose ». Quatremère de Quincy* précise tout au long de son livre « De l’imitation » que « le principe du plaisir est dans le rapprochement entre le modèle et son image. » Certains galets de Pierre Jaggi peuvent être confondus avec les vrais, mais la majorité d’entre eux présente des différences, des matières de terre et non de pierre, des détails de compositions volontaires et non naturelles. Ce sont ces différences que l’œil va chercher, va juger dans leur originalité et dans leur esthétique. Et là, le spectateur prendra plaisir à regarder l’œuvre, son principal plaisir sera d’éprouver « le sentiment du beau ». Cependant, il ne faut pas enfermer le visuel dans l’idée première du galet, mais il faut chercher à voir le volume abstrait, sa peau, sa couleur ou l’espace de sa matière pour lui-même. Pierre Jaggi nous y incite en isolant certaines sculptures sur un socle ce qui, d’une part fait oublier la référence au galet et qui, d’autre part apporte le statut d’œuvre d¹art en donnant à la pièce la position habituelle de la sculpture classique. L’élévation crée une rupture avec le sol , position naturelle du galet. Cet ensemble de « pierres cuites » est constitué de volumes aux formes, dimensions et matières différentes. Pierre Jaggi a utilisé plusieurs terres et les a cuites dans plusieurs fours à bois autour de La Borne et en Puisaye afin d’obtenir des terres brutes uniques. Certaines pièces sont restées crues. Leur surface douce, grise, nuancée, ne trahit pas leur état. Ce conglomérat de poussières montre un aspect de l’argile plastique, résultat de la décomposition des roches, alors que les « pierres cuites», redonnent à l’argile l’état minéral de sa lointaine origine. Le temps, la nature, l’illusionnisme, la construction abstraite du volume, ses écarts à la géométrie, le plein et le vide, sont d’autres angles d’approches des œuvres. Pierre Jaggi complétera son installation par l’accrochage sur les murs de toiles blanches, sans cadre, proposant une série d’empreintes réalisées avec des terres et des pigments. Lors du façonnage des galets, le sculpteur étale des plaques d’argile sur un tissu qui reçoit les marques de la terre humide. Ce disque parfait est enrichi d’une composition de motifs abstraits ou de traces de pinceaux répétitifs. Bien qu’en opposition totale avec les céramiques -style, matière, présentation- les toiles sont issues de la même démarche et se présentent comme une complémentarité cohérente. L’exposition des œuvres de Pierre Jaggi est apaisante. Elle rend éternelle en la magnifiant les éléments d’une nature qui toujours nous émeut et nous manque. Dans notre société où la vitesse est obligatoire, l’artiste nous offre une grande respiration calme et régénératrice.
Nicole Crestou * Quatremère de Quincy, De l’imitation, 1823, réédition 1980, AAM éditions, pages 6 et 7.
Exposition du 7 août au 12 septembre 2004
au Centre de Création Céramique de la Borne