DE LA SPIRALE CHAOTIQUE A L’EXPRESSION D’UN ORDRE UNIVERSEL
L’expression architecturale de l’homme a toujours donné à la voûte, ou au dôme, une prédilection particulière. Celle-ci est l’expression symbolique la plus puissante de la représentation que nous faisons encore de l’univers, et par-là, du Divin lui-même. Ce n’est pas un hasard si les églises de toutes confessions la recherchent pour suggérer l’essence du sentiment qui relie l’homme à l’univers tout entier. La voûte, c’est tout d’abord la voûte céleste, c’est aussi la grotte, un lieu de refuge qui vous enveloppe, c’est la biosphère dans laquelle nous vivons tant bien que mal, sans avoir encore pleinement conscience que cette biosphère est un équilibre extrêmement rare et peut-être bien unique parmi l’infinité des étoiles contenues dans l’infinité des galaxies. La voûte, c’est bien sûr aussi le ventre de la femme qui tient en lui la gestation de la vie humaine. Et c’est aussi, comme aime le rappeler Pierre Jaggi, la forme du berceau, réceptacle du réceptacle du fruit de la vie humaine.
Mais la voûte que l’artiste nous présente est bien plus que la simple expression statique de l’univers terrestre. La pièce de bronze dont jouira le centre scolaire de Chambésy exprime en plus toute la dynamique contradictoire qui donne au phénomène de la vie, son apparence chaotique, parce que multiple et imprévisible à l’échelle humaine : un homme et une femme qui plongent ensembles, en sens inverse, dans une même trajectoire, sans se toucher, à la recherche d’eux-mêmes, qui elle seule permettra, peut-être, la fusion avec l’Autre. Alors que l’un sort de terre pour s’élever vers le ciel, l’autre y retourne pour s’y nourrir.
Cette expression est à la fois le point de départ et l’aboutissement d’une recherche que Pierre Jaggi a mené autour de la «spirale », à laquelle le sculpteur n’a jamais voulu donner sa représentation mathématique. Ses spirales étaient ‘chaotiques », parce qu’elles exprimaient la contradiction entre le désir d’élévation (le ciel) du nomade qu’est l’artiste, et celui de sédentarisation (la terre) de l’homme qu’est Pierre Jaggi. Ici, la spirale est redevenue le cercle, expression du mouvement universel, par l’abandon de la dimension toute relative qu’est le temps à l’échelle humaine. Seuls des moments de détente, de récréation, de vacance, au sens propre du terme, c’est-à-dire de vacuité, a pu permettre la non-préméditation nécessaire à l’irruption du hasard qui a vu la conception de cette œuvre, parce que ce sont ces seuls moments qui peuvent donner à l’homme l’opportunité de se dégager des contingences temporelles, pour passer de la spirale chaotique de vie, à la perception, fugitive, mais oh ! combien éternelle, d’un ordre universel qui s’établit dans une perpétuelle attirance / répulsion des contraires, rendant ainsi à l’homme, paradoxalement, la pleine jouissance de sa liberté. Dr Blaise Galland, avril 1991