Accrochages - AGENDA D’ART - Numéro 52 - Novembre 2003

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Sculptures et formes chez Pierre JAGGI lauréat du concours des 5 ans de la revue accrochages.


Tout parcours d’artiste trouve, sans doute, son origine dans le vécu, les expériences qui précédèrent la pratique artistique menée subséquemment. On ne saurait créer ex nihilo, et même l’art dit brut ne vient pas d’un espace vide où quelques nuées gazeuses auraient engendré le geste – pour ne pas dire la geste – artistique !

Ces courtes remarques préalables pouvaient être posées avant d’aborder le travail du sculpteur d’origine genevoise pierre Jaggi. Sa biographie surprend par le nombre et la diversité des pays et continents abordés, lieux dans lesquels il a même souvent vécu d’assez longues périodes. En vrac: l’Inde, le Népal, l’Afghanistan, le Burkina Faso, l’Argentine, le Brésil ou encore l’Uruguay où il passa une année. Cette imprégnation de cultures extra-occidentales, (du moins, pour une part d’entre elles), laissera ses traces et contribuera à façonner l’artiste tel que nous le connaissons. Car que trouvons-nous dans l’art de Pierre Jaggi qui nous renvoie à la mémoire de ces pays ? Sans doute une certaine évidence des matériaux employés. Le bronze – que l’on associerait plutôt à un matériau occidental par sa “sophistication” – fut pourtant sa première pratique qu’il découvrit en Afrique selon une technique de fonte traditionnelle et qu’il pratiqua pendant quinze ans. Pierre Jaggi s’enquit ensuite de ce qu’il pouvait trouver chemin faisant, matériaux témoins de son nomadisme. Ce fut – et c’est toujours - le bois, le fer, la pierre, la terre auquels vint s’ajouter le cuir. Mais la pierre, le galet tel qu’il se trouve dans la nature, est bien l’objet emblématique de l’artiste. Le galet, plus ou moins ovoïde, plus ou moins lissé ou granuleux, parfois peint, parfois retravaillé dans sa structure, est le matériau qui donne la première frappe de l’œuvre, comme une signalétique de toute la démarche de Pierre Jaggi, un peu comme s’il s’agissait là de son “big-bang”. Ce galet, montré, donné en soi, est aussi objet d’insertion dans de multiples compositions. Ainsi, il se niche dans des cavités de bois, il s’insère dans des fentes de métal, il s’aligne en rang serré sur des tiges métalliques et, souvent, devient l’extraordinaire composant de sculptures de toutes formes, tissées de fils de fer, mailles qui enferment, retiennent, possèdent les cailloux ainsi montrés. Sculptures de toutes formes, tissées de fils de fer, mailles qui enferment, retiennent, possèdent les cailloux ainsi montrés. Sculptures de toutes formes, certes, mais les plus emblématiques, peut-être, donnent à voir des formes cubiques, parallélépipédiques, dont la force de démonstration, d’irradiation, est encore accrue par la répétition du nombre de pièces montrées. Ainsi se joue une présence qui relève plus de l’installation que de la sculpture proprement dite. Dans tous les cas, faut-il y voir une nature progressivement prisonnière de nos agissements ? Ou est-il plus simplement permis d’être sensible au rayonnement de l’œuvre en soi, à son immanence ? A ce propos, les œuvres montrées à Paris, peuvent être ainsi comprises et constituent le travail des derniers mois à l’atelier. Aujourd’hui, le cuir vient s’ajouter à la palette des matériaux employés par Pierre Jaggi. Véritables monotypes, ses “trans-fers” recueillent le dépôt de rouilles qui s’inscrivent sur la peau souple de morceaux de cuir. De dimensions variables, - tendus sur cadres ils deviennent tableaux -, ces cuirs permettent aussi la pratique d’une démarche plus intimiste. Petites vignettes, souvent au format d’une carte postale et envoyées par la poste, elles permettent à l’artiste de contacter les institutions artistiques et de tisser des liens avec son entourage ainsi qu’il le fit déjà avec l’envoi de galets postaux. Et, finalement, on est bien là dans un trait fondamental du caractère de pierre Jaggi qui ne saurait vivre dans la séparation d’avec ses semblables.

Michel Aebischer

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